30.07.2018

gina

Votre corps a quelque chose à vous dire

Illustration de l'article

Imaginez. On ne s’intéresse véritablement aux droits des femmes que depuis un siècle. Ce qui, à l’échelle de l’histoire de la civilisation - à savoir 5500 ans - ne représente que 0,9 secondes. Pas étonnant qu’on soit encore super à la masse. Et donc, pas étonnant non plus que l’on n’en soit qu’à l’amorce du travail de déconstruction des clichés et pressions sociales qui pèsent sur nos corps au quotidien. On en parle ?

Démystifier le corps des femmes

Longtemps, on a donné au féminin l’appellation de “beau sexe” : c’est pour cette raison qu’on attribue encore aujourd’hui aux femmes les caractéristiques (pesantes) de la beauté, de la délicatesse, de la douceur, du plaisir. Aux hommes celles de la force de caractère, de la virilité, de la force, de l’entrepreneuriat. Cette dichotomie a des répercussions pesantes sur la manière dont le corps des femmes est perçu en société. Coincés entre d’un côté des injonctions au corps parfait, érotisé, hypersexualisé, et de l’autre une censure hypocrite - des tétons sur Insta par exemple -, les corps des femmes sont mis en scène, objectivés et ne leur appartiennent plus. De l'épilation comme garant du corps lisse et fantasmé à l'invisibilisation du clitoris et de ses fonctions érogènes, on fait d'eux le manifeste d'un idéal de beauté contraignant, qui rend deviants les rapports de genre, ainsi que l'imaginaire du sexe et du plaisir.

Balance ton soutien-gorge

C’est tout l’objet de la lutte no bra, qu’on a vue émerger sur les réseaux sociaux ces derniers mois. Son but ? Mettre en avant l’absurdité et l’inutilité de cet objet pesant hérité du corset, qui - dans le désordre - coupe la respiration, rentre dans la chair, marque le corps de lignes rouges et surtout, est souvent lié aux canons de beauté en vigueur qui se sont fait l’apologie du push-up et des dentelles depuis le début des années 2000. Cette schizophrénie du port du soutien-gorge, on la connaît toutes : ce moment libérateur qui fait qu’une fois rentrées chez nous, on arrache d’un geste les agrafes étouffantes, fait dire aux féministes et autres supportrices du confort de chacune, qu’il semblerait qu’on ne porte ce dernier que pour des raisons de pudeur et de pratiques sociales. Et que chacune devrait être libre de pouvoir choisir. Libres d’en porter ou non sans se préoccuper des jugements ou non que cela va susciter.

Rompre le lien érotique omniprésent

Et effectivement, les seins des femmes font encore aujourd’hui l’objet de toutes les attentions et de toutes les contraintes, comme en témoigne l'existence du mouvement Free the Nipples. On n’est vraiment encore loin d’être sorties du “cachez ce sein que je ne saurais voir”. S’il semble commun depuis bien longtemps de voir des hommes dans la rue le torse à l’air, la réciproque est quasi impensable : pour la “simple” raison que le corps des femmes fait l’objet d’une sur-érotisation. Comme si, à la vue d’un simple sein qui se balade, une pancarte marquée du mot sexe en majuscule et en rouge allait sauter à la tête de chacun-e. Banaliser le corps des femmes n’a donc rien d’anodin : c’est l’objet immédiat de tout un pan de la lutte féministe. Pourquoi ? Parce que le nobra challenge rencontre à peu près autant de succès que de détracteurs, qui voient en la libération du téton une tentative mal venue d’aguicher ses pairs puisqu’évidemment le seul but dans la vie d’une femme est de susciter du désir sexuel. Quoi d'autre ? Dans une société où l’on demande quasi-systématiquement à une victime de viol les vêtements qu’elle portait lors de son agression, pas étonnant qu’on réagisse avec autant de pudibonderie à une telle entreprise.

Gagner la guerre du poil

C’est un peu la même chose au sujet de la pilosité féminine : comme pour le soutien-gorge, l’éradication du poil provient de pressions sociétales issues des canons de beauté reconnus. Et une fois de plus, surprise : ce culte de la beauté est profondément lié à des pratiques douloureuses visant à faire du corps des femmes un manifeste de l’imaginaire érotique tel qu’on veut bien l’entendre. L’épilation du corps éradique toute forme possible d’animalité et replace la femme dans sa position de suprême créature, de beau sexe. L’historienne Marie-France Auzépy nous rappelle d’ailleurs que c’est pour cette raison que L’Origine du Mondede Courbet a fait scandale à sa publication. Elle précise également que les seules photos de nu de femmes poilues connues jusqu’en 1914 était des photos de prostituées. Vous nous suivez ? Chaque chose à sa place.

Endiguer le culte de la souffrance volontaire (et le côté quasi-punitif de la condition féminine)

Chaussures inconfortables, tampons bourrés de produits chimiques, règles douloureuses, pilules cancérigènes : à croire qu’on voudrait nous faire comprendre un truc, non ? Et comme si ça ne suffisait pas, nous toutes, par automatisme, conformité ou habitude, nous infligeons de drôles de pratiques liées au corps et plus encore, au culte du corps féminin tel que perçu dans le monde moderne. Comme les régimes (beach body ready) et les soutien-gorges douloureux, l’épilation se fait l’expression d’un culte sine qua non de la beauté lisse, qu’importe le prix que les femmes puissent en payer. Et si on vous dit tout ça, c’est pas parce qu’on pense que demain tout le monde devrait balancer son porte-jarretelle Agent Provocateur ou cesser de s’épiler pour des raisons éminemment politiques. On vous le dit parce que la réappropriation de ces pratiques culturelles issues tout droit de la domination masculine est une urgence, et que la liberté de faire de son corps ce que l’on veut quand on veut est notre droit le plus absolu. Le fait de se dire en faveur de pouvoir le faire, renverse justement les mécaniques de pouvoir et permet de rédéfinir la norme. Et ça, c'est important.

Remettre l’accent sur le plaisir

Des millénaires d’existence bridée laissent encore aujourd’hui la part belle au patriarcat, y compris dans nos pratiques sexuelles. Si le culte du sexe lisse et bien épilé tel qu’évoqué plus haut en est la preuve, l’invisibilisation du clitoris et de ses fonctions érogènes en est clairement un autre élément. Et ce qu’on veut vous dire c’est aussi ça : déplacer le curseur des injonctions sociales à la perfection c’est aussi encourager le lâcher-prise. On disait “liberté”, juste au-dessus. Quitte à faire dans le politique, autant vous citer ce fameux slogan de Mai 68 : “Jouissez sans entraves”. Et sans entraves c’est aussi : en connaissance de son corps, de son plaisir, avec l’autre, et pas pour l’autre. Parce que c’est comme ça, sans aucun doute, qu’un acte d’amour à deux devrait se matérialiser. Et c’est pour ça qu’on vous renvoie vers cet article bien sympa qu’on a écrit sur le clitoris. Vous nous suivez ?

Pour aller plus loin :

Une étude menée sur les effets nocifs du soutien-gorge sur le corps.
La série d'Arte sur le corps des femmes et la pilosité.
Un très bon article de Cheek Magazine sur le Nobra challenge.
Un mini-documentaire pour comprendre l'histoire du clitoris et son invisibilisation.
Le très bon livre de l'historienne Marie-France Auzépy sur l'histoire du poil en société.
Le super-docu d'Arte sur le féminisme digital et ses activistes.
Une discussion avec Geneviève Fraisse autour du corps des femmes comme lieu de pouvoir politique.
La BD de Liv Strömquist sur le corps des femmes et les pressions qui s'y exerçent.