13.10.2020

interview

Conversation avec Loubna Ksibi et Donia Amamra

Illustration de l'article

Donia et Loubna sont les créatrices du projet Meet My Mama. Elles nous ont parlé food, business, importance des role models et empowerment.
 

C’est marrant ce truc, quand même : en cuisine, 80 % des chefs sont des hommes cisgenres... qui bien souvent puisent leur inspiration dans les recettes de leurs mères et de leurs grands-mères ! Ce sont ces anonymes, ces oubliées, ces grandes absentes de la scène culinaire et gastronomique française qu’on avait envie de mettre en avant avec Meet My Mama. D’un côté il y a nous deux, Donia et Loubna : il y a quelques années, nous avions créé une structure qui s’appellait Mama Cooking. De l’autre, il y a Youssef, fondateur du projet Mama’s Kitchen. Ces deux projets étaient nourris par l’envie de valoriser ces femmes, et de faire d’elles des role-models. Nos chemins professionnels se sont donc croisés comme une évidence : c’est comme ça que Meet My Mama est né ! 

 

Pas d’expérience, pas de contact, pas de formation : c’était globalement l’état de notre réseau et notre CV dans le domaine de la food au début du projet. Ça peut faire peur, c’est vrai. Mais on a eu envie d’assumer et de se dire que c’était l’opportunité pour nous de réinventer ce milieu à notre manière. De nous l’approprier plutôt que d’essayer de rentrer dans le moule, et de réaliser l’ensemble des codes attendus. Et puis évidemment, on apprend aussi de nos “Mamas”, puisque c’est elles qui s’y connaissent le mieux. 

 

Le traiteur, on le fait donc à notre façon, et ça ne ressemble à rien… de connu ! On casse les codes, on crée un nouveau modèle. En général, on attend du traiteur un maximum de discrétion : il·elle se met dans le fond, et sait se faire oublier. Tout est monochrome. Nous on arrive avec des couleurs, des odeurs fortes et alléchantes, la “Mama” prend la parole, elle raconte qui elle est, sa cuisine, son histoire, jusqu’à devenir l’attraction principale de l'événement ! 

 

L’idée, c’est ça : laisser de la place à ces personnalités fortes de la cuisine qui savent parfaitement ce qu’elles font. Qui le font différemment de ce que l’on peut faire dans le milieu de la gastronomie, de la cuisine, ou du traiteur professionnel. Encore une fois : ça ne nous intéresse pas de copier ce qu’il y a déjà sur le marché, on veut s’adapter au mieux aux besoins de nos mamas, et partir de cette base pour tout réinventer. Notre imagination, nos envies, et nos idées en plus. 

 

Une autre chose qui nous tient à coeur est de créer une vraie structure entrepreneuriale, qui soit un business, au sens concret du terme. Parce que, pour le dire grossièrement, plus tu fais de business, plus tu as un impact. Et c’est quelque chose de très important pour nous et les Mamas : qu’elles puissent se dire « je fais partie d’une entreprise » et non « je suis bénéficiaire d’une asso ». C’est valorisant, empouvoirant, et ça a un vrai impact sur l’image qu’elles peuvent avoir d’elles-mêmes, ou que la société à d’elles. D’ailleurs, c’est très français cette idée de diviser les deux : d’un côté le profit, de l’autre le non-profit. Dans les cultures anglo-saxonnes, ce n’est pas le cas ! 

 

C’est évidemment une manière pour nous de bouleverser les codes et les hiérarchies, de faire un pied de nez à l’establishment. Pour résumer : c’est l’économie d’aujourd’hui et la possibilité de la réinventer qui va faire bouger les choses, et, a fortiori, avoir un impact systémique. Selon nous, ça passe aussi par le faire de propulser ces figures de Mamas sur le “devant de la scène” : non seulement à travers la cuisine qu’elles proposent mais aussi via les réseaux sociaux, les médias, les livres… tout ce qui peut leur offrir la visibilité qu’elles méritent ! 


Avec le recul, si on pouvait donner un conseil à notre “moi” plus jeune, on leur dirait : continuez ! Mais sans leur cacher la réalité du métier, du business, de l'entrepreneuriat. C’est quelque chose de très valorisé en ce moment, et c’est tant mieux, mais vraiment : il ne faut pas oublier que ça ne va pas être facile. Surtout dans la food ! Parce que la question n’est jamais uniquement de monter un projet : quand tu veux en plus intégrer une vision sociale, responsable, écologique, et que tu dois gérer la rentabilité de ton business… ça fait beaucoup, évidemment.

 

Mais tous les petits moments de joie et de réussite qui viennent avec sont sans commune mesure. Ce qui nous anime, c’est de mettre sur un piédestal des personnes qui sont dénigrées. C’est un kiff incomparable de leur donner du pouvoir, de transformer le regard que la société peut avoir sur ces personnes. Nous, on le fait pour les Mamas, pour qu’elles puissent apporter toutes leurs richesses à la société, que ce soit leur expertise ou leurs valeurs. On invite toutes les personnes avec lesquelles on travaille à dépasser leurs préjugés : un prénom, un visage, qu’est-ce que cela peut dire de quelqu’un, de ses talents, et de sa valeur ? Creusons un peu plus avant de juger.  

 

Dans notre équipe, chacun·e se bat et s’engage pour différentes causes et valeurs (féminisme, valorisation de la diversité des cultures, questions d’immigration, écologie et écoresponsabilité...) et chacun·e apporte sa touche personnelle. L’important pour nous, c’est que l’on avance tous·tes dans la même direction : celle de rendre l’industrie agro-alimentaire ET la société plus inclusives, durables et responsables. On y croit !