16.06.2021

interview

Conversation avec Alexia Barrier

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Alexia Barrier est cheffe de deux entreprises, présidente de l’association 4MyPlanet et navigatrice professionnelle. Elle a fait partie des six femmes engagées sur le Vendée Globe en 2020 et a participé au sommet Change NOW à Paris. Bref, quand Alexia a une idée en tête, elle sort la voile et navigue au gré de ses envies. On l’a rencontrée et on s’est parlé de passion, de résilience, d’obstination, de sexisme, d’écologie et de transmission.
 

Je savais à peine marcher que mes parents m’emmenaient déjà avec eux sur leur voilier. C’est dès cet instant que j’ai senti une vraie attirance pour le large. Mon père m’embarquait sur ses courses et au fil du temps, c'est moi qui prenais la barre pour lui expliquer comment faire. Mais je n’ai pas commencé la voile tout de suite : j'ai appris à naviguer sur le voilier de 6 mètres de mon père, et en club, on me proposait de naviguer sur des optimistes (des bateaux bien plus petits que celui-là). Pour moi qui voyais déjà les choses en grand, c’était hors de question de commencer sur un petit bateau. J’étais jeune, j’avais d’autres envies et d’autres rêves. Mais un jour, j’ai vu un départ du Vendée Globe à la télévision et j’ai su que c’était mon nouveau rêve. 

J’ai donc commencé la voile en club à 15 ans et je suis directement passée à la compétition. Dès mes débuts je me suis classée dans les premières mondiales. Mais malgré mes performances, j’ai tout de suite senti que ça allait être compliqué... À 18 ans, je voulais être équipière sur un bateau de course, ce à quoi les garçons qui y travaillaient déjà m’ont répondu que je n’avais pas ma place sur un bateau à moins de faire les sandwichs. Et pourtant à ce moment-là, j'étais déjà 4ème mondiale. Ça m’a rappelé cette période, où plus jeune, je voulais être basketteuse professionnelle. J’étais en sport-études et quand les choses ont commencé à être sérieuses, on m’a dit “qu’en tant que femme” ça ne marcherait pas, “et puis tu es trop petite, tu ne pourras jamais devenir pro”. Découragée, j’avais abandonné ce rêve. Ces expériences sexistes m’ont fait comprendre une chose essentielle : pour réussir, il ne faut pas attendre qu’on nous donne une place, il faut la saisir parce qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même. C’est comme ça que j’ai commencé à me débrouiller toute seule pour me trouver des sponsors, puis un bateau. Et à 25 ans, j’ai pris le départ de ma première expérience de course au large en solitaire. Une traversée de plus de trois semaines, seule, sans contact avec le reste du monde, juste moi au milieu de l’océan. Ce que j’ai ressenti ? Tout sauf de la peur ou de la solitude. Je me suis sentie à ma place. Quand j’ai terminé ma course, tout était clair dans ma tête : naviguer c’était ma destinée. Je savais que pour réussir je devrais me battre un peu plus que les autres, mais ça ne m’a jamais arrêté. 

La preuve en 2020 puisque j’ai réalisé mon rêve : il a débuté le jour où j’ai pris place pour le départ du Vendée Globe, et il s’est concrétisé 111 jours plus tard, quand j’ai franchi la ligne d’arrivée. C’était une expérience incroyable, autant en tant que navigatrice qu’en tant que femme. Seule face à l’océan jour et nuit, ça permet de remettre les choses en perspective. Mais aussi d’apprendre énormément sur soi-même : une semaine avant l’arrivée, j’ai chuté dans mon bateau et je me suis blessée au dos. Je ne pouvais plus marcher, je me déplaçais en rampant et me traînant d’un bout à l’autre du bateau. Chaque déplacement était une souffrance et chaque mouvement me prenait le double de temps qu’à l’accoutumée. Mais malgré la douleur, je n’avais qu’un seul but : terminer la course. Je me suis toujours dit que j’étais capable de le faire, alors je l’ai tout simplement fait. Et c’est ce que cette course autour du monde m’a enseigné, notre corps et notre esprit sont capables de réaliser des exploits incroyables si on leur en donne les moyens. 

Abandonner n’était clairement pas une option : on était seulement 6 femmes à prendre le départ du Vendée Globe. S’engager sur une telle course demande énormément d’investissement, de temps, d’argent, et quand on est une femme, c’est plus dur pour se faire une place. A niveau égal, un homme atteint le haut niveau bien plus rapidement. Pourquoi ? Parce que les marques préfèrent investir dans les hommes “tête d’affiche”. Les femmes, elles, ne sont souvent que des “coups marketing”, on croit beaucoup moins en l’athlète ou en son projet. Alors il y a un seul mot d’ordre quand on part à la recherche de sponsors pour financer ce genre de course : ne pas lâcher. Jamais. Et c’est ce que je me suis dit quand j’étais blessée. Hors de question de lâcher. 

Aujourd’hui, j’ai 19 transatlantiques, 1 tour du monde en solitaire, plus de 20 000 miles nautiques en course, 2 entreprises et 1 association à mon compteur. J’ai fondé mes deux entreprises pour ne plus avoir à compter sur les autres. L’une est spécialisée dans la gestion des dossiers de sponsoring et l’autre dans les armatures de bateau. Au milieu de tout ça, j’ai aussi créé mon association, 4MyPlanet, en 2009. Il m’a semblé urgent d’intervenir le jour où je suis rentrée d’une transatlantique entre les Etats-Unis et l’Angleterre. Quand je suis arrivée proche des côtes, ce n’est pas la terre, le changement de température ou la fin de l’aventure qui m’ont sauté aux yeux. C’est la pollution : les déchets, le plastique dans l’eau. C’est là que je me suis dit qu’il était grand temps de faire quelque chose de concret. En rentrant j’ai rencontré des scientifiques qui m’ont expliqué que je pouvais installer des capteurs sur mon bateau qui permettraient de récupérer des données sur l’océan. En même temps, j’ai créé mon association. 

Une fois les capteurs installés, je suis partie faire une course en solitaire de 5 mois, où j’ai récupéré plus d’un million de données. Ces données ont permis d’étalonner un satellite afin d’observer les océans en continu. Mais 4MyPlanet, ce n’est pas seulement ça, on a aussi tout un programme dédié aux kids (c’est le petit surnom qu’on donne aux enfants chez nous). Ils sont au cœur de nos actions : on les rencontre, ils viennent sur mon bateau, on échange sur différents sujets comme la pollution, le futur, les rêves, je leur pose des questions et ils m’en posent... Pour moi c’est important de les inclure, pour leur montrer que peu importe leurs rêves, s’ils s'en donnent les moyens, ils peuvent les atteindre. Les visites et les ateliers servent aussi à les sensibiliser sur le réchauffement climatique ou la pollution. À la suite de ces visites, c'est eux qui éduquent leurs parents. Certains ont même créé leur propre association pour ramasser les déchets sur la plage le week-end. Je trouve ça génial de transmettre et de leur ouvrir la voie vers un chemin de possibilités. 

Et c’est aussi ce que j’ai voulu faire en participant à Change NOW, le sommet des innovations pour la planète. Partager, parler pour permettre d’ouvrir les voies vers de nouveaux chemins plus écologiques. Il est aussi essentiel d’encourager les jeunes dans ce qu’ils entreprennent, peu importe leur genre, leur taille, le sport ou leur passion. C’est ça que je veux transmettre. Et je suis vraiment contente d’avoir pu le faire à ce sommet. Change NOW c'est une initiative géniale, c’est un projet positif et constructif, il faut qu’il y ait plus d’actions comme celle-là. C’est pour ça que je suis fière de pouvoir les compter parmi mes partenaires. Je prendrai place au départ du prochain Vendée Globe, sous les couleurs de Change NOW et de 4MyPlanet. En espérant pouvoir vivre encore plus de moments incroyables sur l’eau, et récupérer un maximum de données pour l’association. 

Pour en découvrir plus sur 4MyPlanet, l'ensemble des actions de l'association sont disponibles juste ici. Et pour suivre les prochaines aventures d'Alexia Barrié sur l’océan, ça se passe sur Instagram, Facebook et son site internet