06.05.2021

interview

Conversation avec Ornella Monteiro

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Ornella Monteiro est la fondatrice du projet Nori Concept : un concept store dédié à la beauté et au soin du corps, qui envoie valser tous les clichés généralement associés au secteur de l’esthétique, et qui fonctionne comme une pépinière d’indépendantes passionnées. Elle nous a parlé de mentorat, de sororité, d’hypersensibilité, de l’importance de la bienveillance, et de son amour de l’entrepreneuriat. 

Tout commence à la fin de ma licence de psycho : diplôme en poche, je réalise à l’aube de mon Master que je n’ai pas envie de poursuivre. J’ai en effet pris la mesure de mon hypersensibilité sur les bancs de la fac, et mon côté “éponge émotionnelle” me fait me poser de sincères questions sur mes objectifs de carrière… Comme je ne sais pas encore ce que je veux, et que mon besoin le plus urgent reste de payer mon loyer, je choisis la vente, dans une enseigne de prêt-à-porter haut de gamme. Et là, double révélation : cette expérience s'avère être très riche pour moi, puisqu’elle me permet à la fois de me dépasser en travaillant très dur... mais aussi de réaliser que je ne me sens plus à l’aise avec l’idée du salariat. Il faut dire que je suis passionnée et très engagée dans mon travail : je me donne à fond, et c’est donc tout naturellement que je me fais cette réflexion : “quitte à tout donner, autant que ce soit pour mon projet, non ?”. C’est forte de ce constat, et aussi parce que je suis enceinte, que je décide de quitter mon boulot de vendeuse à 10 heures / jour : je ne peux plus continuer. Je comprends aussi que j’ai besoin de faire une activité qui me permettra d’être chez moi, d’avoir des horaires flexibles… et puis surtout : une activité qui rapporte. 


Nous sommes en début d’année 2017. C’est un peu hasard et avec beaucoup de curiosité que je me lance dans le secteur de l’esthétique. Il faut préciser qu’à ce moment-là, l’expérience que j'ai avec les métiers de l’esthétique se limite à ma capacité à me maquiller, seule dans ma salle de bains. J’apprends beaucoup, mais malheureusement, ma première formation ne me plaît pas : un peu découragée, mais toujours aussi combative, je rempile donc pour une deuxième formation dans la foulée. Là, ça fonctionne : la formation est super, je m’éclate, et j’ai maintenant toutes les compétences en mains pour lancer mon projet. Je commence d’abord par faire les choses dans mon coin, un peu à l’écart des réseaux sociaux. Je n’ai pas de local, je tâtonne, j’explore, mais je propose mes services et les gens sont ravis. Et coup de bol, très rapidement, tout s'accélère : Lili Creuk, une nail artist de renom, s’apprête à ouvrir un local et me propose de me joindre à elle. C’est le début d’une grande amitié entre nous, mais aussi d’une étape clé dans la réalisation de mon projet : grâce à Lili, qui m’offre une grande flexibilité dans mes horaires, je trouve un équilibre sain entre travail à la maison et travail en institut, et bosse d’arrache pied pour mettre des économies de côté. 

Fin 2019, économies en poche, je commence à me chercher un local. En deux visites, le tour est joué. Quelques semaines après, les travaux commencent, et début 2020, nous y sommes : Nori Concept est né et ouvre ses portes, en plein cœur du 17ème arrondissement, à Paris. Le concept est simple et fort : je souhaite que Nori soit un lieu dédié au partage, un lieu qui envoie valser tous les clichés généralement associés au secteur de l’esthétique. En fait, je ne voulais surtout PAS que ce lieu soit un institut de beauté ! Mon idée : faire de cet espace une maison, en quelque sorte. Un safe space, un endroit où tout le monde peut venir, et se sentir chez soi. Alors au store, la déco est jeune, moderne, l’ambiance décontractée, la musique pétillante, et la sincérité de mise. 

La palette de prestations de services proposée chez Nori va des cils aux sourcils en passant par le tatouage, la perruque, l’onglerie, la customisation de chaussures, et le soin de la peau. Sans oublier les évènements et rencontres que nous organisons avec des petites marques de fringues, des cheffes pâtissières, des artistes qui viennent exposer leurs travaux… Une seule condition pour proposer ses services chez Nori : être auto-entrepreneur·e ou indépendant·e. Car ce lieu fonctionne en quelque sorte comme une pépinière de projets. 

Bien sûr, je ne fais pas ça toute seule : je me suis entourée d’une équipe de personnes aussi compétentes et passionnées que moi. Toutes des femmes. Toutes de nationalités différentes. Toutes afro-descendantes. Toutes elles-mêmes, sans concession, et fières de l’être. Toutes des auto-entrepreneures, engagées dans leur métier, avec une vision forte de leur pratique et de l’esthétique. Toutes différentes aussi : la diversité des profils de femmes que l’on peut croiser chez Nori démonte à elle seule tous les clichés et stéréotypes. 

Ce qui est bien, c'est que nous bossons toutes sur un pied d’égalité : exit la question du salariat, tout le monde porte son projet, fait son chiffre, choisit ses horaires, constitue sa clientèle. Nous sommes toutes égales, toutes des boss : le rôle de la “girlboss” n’a pas sa place ici. Et bien sûr, comme nous sommes toutes auto-entrepreneures, nous nous comprenons entre nous : le store n’est pas à moi, il appartient à toutes celles qui y travaillent. Parce qu’elles se donnent dans ce projet comme si c’était le leur. Parce qu’elles savent que si ça marche pour moi, ça marche pour elles aussi. 

Que la sororité soit au cœur des valeurs de Nori est fondamental pour moi : c’est important de faire sauter les clichés sur le manque de solidarité qu’il peut y avoir entre les femmes, surtout dans le monde du travail. En ce qui me concerne, je suis fière de moi, fière de mon projet, fière de travailler avec des personnes compétentes, et heureuse de voir les autres réussir. Il n’y a pas de jalousie, car elle n’a pas lieu d’être : on peut toutes y arriver, à notre façon, car on est toutes uniques. Sans compter qu’ensemble, on est plus fortes, et on va plus loin. Penser le contraire reviendrait pour moi à parasiter la bienveillance et le bien-être qui règnent dans notre équipe, et qui rayonnent chez Nori. 

C’est aussi une manière pour moi d’être reconnaissante et de partager à mon tour les conseils, le soutien et la bienveillance qui m’ont été transmises par Marina et Lili  : deux femmes qui ont été très importantes dans ma formation et la réalisation de mon projet. De la même manière que Lili m’a accueillie à bras ouverts dans son local, je peux aujourd’hui permettre à des jeunes femmes et des femmes entrepreneures de se lancer. Une structure comme celle de Nori permet de valoriser les projets de chacune, de s’entraider, de se soutenir, de se dépasser ensemble. Car je sais que quand on se sent bien dans son boulot, on s’épanouit. Et ça me fait tellement plaisir de voir mon projet grandir avec des personnes qui y grandissent elles-mêmes : c’est tout l’art d’offrir de la joie, de la stabilité, et du partage dans le monde du travail. 

En fait, ce n’est pas simplement ce projet qui porte mes valeurs, mais ce sont aussi mes valeurs qui portent le projet. Mon hypersensibilité ne me laisse pas le choix, de toute façon : je m’épanouis en me donnant pour les autres et pour moi. C’est vraiment ça qui me motive, et qui me donne envie de me lever le matin. Le projet de l’institut me permet d’être dans un environnement avec des valeurs qui me sont chères au quotidien, et sentir que je peux être vraiment moi dans la sphère professionnelle. Courage, patience, ambition, culot, bienveillance : ce sont pour moi les cinq maîtres mots pour monter son projet et continuer à avancer. 
 

Parmi toutes les difficultés de l’entreprenariat, qu’implique le fait d’être une femme noire dans ce domaine ? Comment cette identité transparaît ? Quelles forces en tirer ? Ce sont les questions que nous nous posons avec Black Owned Business France au travers d'interviews de femmes entrepreneures noires.

Black Owned Business France est une initiative lancée en parallèle du mouvement Black Lives Matters et du nouveau mode de consommation "Buy Black" dont le but est de consommer auprès des entreprises possédées par des afro-américains afin de soutenir la communauté mais aussi de pas financer des entreprises suspectées de racisme. Pour Elodie, la créatrice du compte instagram Black Owned Business France, l'idée est de "partager les entreprises françaises portées par des afro-descendants et en découvrir de nouvelles, surtout dans des domaines auxquels on ne s'attend pas, pour aider les entrepreneurs noirs à avoir de la visibilité. L'objectif à long terme de cette initiative est de déconstruire notre pensée afin de voir les créateurs noirs comme des égaux et des experts”.