13.09.2018
Interview
Behind The Mirror avec Clémentine Lévy
Journaliste, mannequin, DJ, chroniqueuse, éditrice de carnets et aujourd’hui propriétaire et gérante d’un café-fleurs… Vous avez passé la moitié de votre vie à l’école pour savoir faire tout ça aussi bien ?
(Rires) Oui et non, parce que les études en com que j’ai faites m’ont très peu servi par la suite. Comme très souvent quand on fait des études, j’ai l’impression… J’ai toujours été autodidacte, dans tous les jobs que j’ai fait. Très vite, j’y suis allée au culot et j’ai toqué à toutes les portes pour proposer des collaborations aux gens. C’est comme ça que je me suis créé des contacts. Je me suis formée sur le tas dans toutes mes activités… D’ailleurs, je préfère le mot “activité” que le mot “métier”, je trouve ça péjoratif et lié à la contrainte alors que je fais plus des activités-passions.
La variété de vos expériences a forcément des avantages. Mais est-ce que certaines d’entre elles se sont révélées être des freins dans la création de votre business ?
Ça dépend aussi : mon passé de mannequin par exemple n’a pas empêché les gens de me faire confiance, ou de m’accorder des rendez-vous administratifs. Je dirais que c’est plus le fait d’être une femme dans un monde d’hommes qui m’a plus fait galérer. Quand tu es une petite nana bien propre sur toi et que tu dois gérer une troupe d’ouvriers qui te demandent toujours si tu es la femme du patron, c’est un peu épuisant. J’ai du beaucoup m’imposer pour qu’ils restent fidèles à ma vision du café lors des travaux, et très souvent, si mon associé homme n’était pas présent, les décisions n’étaient pas validées. Ça, ça m’a tuée.
Aujourd’hui, ça va mieux ?
Parfois quand je suis derrière le comptoir, ça arrive que des gens viennent et demandent à voir le patron : et quand je leur réponds que c’est moi, ils font des têtes de trois pieds de long. Bizarrement, ce ne sont jamais des femmes qui sont étonnées de savoir une autre femme chef d’entreprise… Inconsciemment (ou pas d’ailleurs) les nanas que j'ai engagées ont toutes de la bouteille et du caractère pour servir : je ne veux pas qu’une femme se laisse marcher dessus dans ma boutique. Je sais ce que ça fait, et je ne le souhaite à personne. Je suis très ferme là-dessus.
Quelle est l’histoire de Peonies, votre café-fleur et du studio qui l’accompagne ?
C’est un peu atypique… Le local s’est présenté à moi avant l’idée (ce qui n’arrive JAMAIS). C’était le local de mon associé, et il voulait le vendre à quelqu’un de confiance qui allait vraiment faire vivre l’espace. Il m’a laissé un peu de temps pour trouver une idée. Je voulais déjà ouvrir un coffee shop (car je suis moi-même un peu accro) mais je voulais un truc en plus. Et je me suis dit : qu’est-ce qui fait autant plaisir qu’une bonne tasse de café ? Un joli bouquet. BOUM. De là, je me suis renseignée et formée dans tous les sens : pour le café chez Coutume, et pour les fleurs, chez une designer florale à Paris. C’est là que j’ai eu le déclic : au premier bouquet. C’est cliché mais j’ai vraiment senti un frisson et j’ai su que mon intuition était la bonne.
Le studio Peonies, où je fais des ateliers pour apprendre aux gens à faire des bouquets, je l’avais en tête depuis le premier jour. J’avais envie de contact, de transmettre ce que j’ai appris et d’être proche des gens : être derrière un comptoir ou autour d’une table, ce sont deux relations différentes à la clientèle.
Vous êtes-vous beaucoup entourée pour donner naissance à ce projet, ou vous avez mené votre barque seule face à la houle ?
Un peu les deux. D’une part, j’ai vraiment imaginé et monté le projet, son concept, son business plan seule. D’un autre côté, j’ai réuni une super team (Eloise Bosredon et Romain Chirat) pour créer l’identité digitale et physique de mon café. Ensemble, on a mis les mains dans le cambouis pour imaginer le logo, que je voulais déjà dupliquer sur du merchandising. J’ai impulsé mes inspirations déco (le côté californien, les matières brutes…) et ils en ont fait une réalité : c’était un vrai trio, et sans eux Peonies ne serait pas ce qu’il est. Côté perso, mon mec a monté son bar à cocktails deux ans avant : du coup il a su me rassurer à chaque étape du projet car il avait déjà vécu une ouverture de lieu. Heureusement, sinon j’aurais peut-être jeté l’éponge !
C’est un gros projet quand même...
Le plus gros de ma vie même ! Non seulement c’est un gros projet, mais c’est un lieu physique, des comptes à rendre aux banques, à l’URSSAF, des employés à manager, des stocks à gérer, des ateliers à animer, des relations à entretenir… Mais c’est surtout un lieu double emploi donc deux fois plus de boulot pour moi. La première année, j’étais seule aux fleurs et au service : c’était riche et fatiguant, mais je suis tellement fière de l'avoir fait.
Une anecdote sur l’ouverture ?
La veille (alors que la date et l’heure avaient déjà été annoncées dans les médias et à tous les gens que je connaissais), un ouvrier vient pour faire les derniers branchements internet. Et là il se rend compte qu’il y a un énorme souci sur l’électricité : il a fallu tout refaire. Le jour J, le rideau était baissé toute la matinée, et plein de clientes se pressaient déjà pour glisser un oeil : la honte ! Heureusement, ce sont les aléas du direct et tout le monde a été hyper réactif et bienveillant. Mais on a quand même ouvert avec une demie journée de retard.
Le côté administratif/relou, ça peut freiner un rêve comme celui-ci ?
Complètement. J’ai eu la chance de faire une formation au CCI “5 jours pour entreprendre”, qui m’a donné beaucoup de pistes et de documentation sur chaque étape d’une ouverture d’entreprise. J’avais déjà bien avancé là-dessus donc ça ne m’a pas trop effrayée. Mais pas mal de gens dans ma session ont renoncé. Aujourd’hui encore beaucoup de gens me demandent comment je suis arrivée en haut de cette montagne administrative. Ce n’est pas une légende, en France l’administratif, c’est compliqué : je devais ouvrir fin mai et j’ai ouvert en octobre finalement car tout a mis 1000 ans. J’ai cru devenir folle, j’ai passé mon été à relancer tous les jours : un enfer ! Mais aujourd’hui, j’ai la chance de pouvoir en rire.
Créer des bouquet, c’est un travail esthétique et manuel. Ça change quoi de travailler avec ses mains ?
Je n’avais jamais fait ça avant. Et je suis tellement heureuse d’avoir découvert que j’aimais ça ! Je n’avais jamais rien fait d’artistique… Même le mannequinat finalement, ça ne fait pas beaucoup travailler ton cerveau… Et je n’avais pas de “passion” à côté du boulot. Quand j’ai commencé les fleurs, j’ai vraiment retrouvé une sérénité et un repos dans le travail. Et puis surtout, de voir les gens s’émerveiller devant ce que tu as fais de tes 10 doigts, c’est magique. C’est tellement satisfaisant. C’est le gros point positif de l’artisanat : tu as un retour direct de tes clients, ils apprécient réellement le coeur que tu mets dans ton produit. Les retours positifs, ça motive et malgré les gros horaires, un seul compliment peut te faire oublier tous les tracas de la journée.
Quand est-ce qu’on sait que le projet existe pour de vrai ?
Quand on reçoit le premier client. Je n’avais jamais fait de restauration avant Peonies. Même si on a passé des semaines à bosser la carte et à tout goûter, la première assiette servie à un client te met une claque.
La prochaine étape, c’est quoi ?
Être plus durable. On a déjà supprimé toutes les mousses artificielles de nos compositions, car c’est un matériel qui est très polluant et non-recyclable. On n’utilise plus que des fleurs locales que je vais négocier à Rungis. En hiver, quand il n’y a plus que du feuillage local, je récupère les fleurs des mois précédents que j’ai fait sécher tout l’été, afin de m’en servir pour des compositions plus durables. Je me forme régulièrement sur des techniques plus durables d’arrangements floraux. J’aimerais beaucoup appliquer ça à la cuisine : pour le moment on n'est pas bio, mais on est local, c’est déjà pas mal.
C’est pas évident, mais on travaille là-dessus ! Nos emballages aussi sont recyclés et recyclables et je souhaite supprimer les pailles bientôt. Après, j’aimerais sortir de Paris pour ouvrir un lieu dédié aux workshops… À suivre !
Qui vous donne les meilleurs conseils ?
Classique : mon mec, et ma mère.
C’est plus facile de bosser pour les autres ou d’être son propre patron ?
Être son propre patron, toujours. Quand tu bosses pour les autres tu ne tires pas le même profit des expériences. Et puis, la vie est trop courte pour bosser pour les autres.
Votre motto dans la vie ?
“Sois convaincue, tu seras convaincante”. J’avoue que j’ai beaucoup donné cette réponse en interview, mais je suis vraiment convaincue que tu peux vendre n’importe quoi à n’importe qui si tu y crois avec tes tripes. Il faut toujours tout tenter : au pire, ça marche ! Il ne faut pas écouter la peur quand elle est irrationnelle. Je crois beaucoup en la loi de l’attraction : si tu as peur d’un truc, ce truc va t’arriver. Alors que si tu n’y penses pas...
Si vous pouviez dire une seule chose à la fille que vous étiez il y a 10 ans, ce serait quoi ?
Rien. Je ne voudrais rien changer dans mon parcours, même les erreurs, même les fails. Sans ça, je ne serais pas celle que je suis aujourd’hui.